Carnet de route

Massif des Cerces-Thabor en itinérance du 16 au 21 mars 2025
Le 06/04/2025 par GAUVIN LIONEL
Compte rendu collectif de : Lionel (encadrant), Gilberto (co-encadrant), Anna, Jean-Baptiste, Mathieu, Agnès
Dimanche 16 mars – Montée au refuge Ricou
Nous quittons Saint-André-d’Embrun où nous avons fait une halte d’approche la veille, direction Névache. Nous chaussons les skis au pied du minibus sur le parking. Lionel nous met de suite au parfum sur ce que nous réserve notre semaine d’itinérance avec un problème de chaussures. Elles semblent dater de la dernière guerre…On sort le gros scotch pour tenter de rafistoler ce qui reste d’un de ses chaussons en croisant les doigts pour que ça tienne la semaine ! Mais, visiblement le confort du pied n’est pas optimal…
Jean-Baptiste tient une méga crève et peine à irriguer ses poumons.
Mathieu est sous antibiotiques pour soigner un chalazion.
Nous ne sommes pas encore partis que la moitié de la troupe est déjà mal en point.
N’empêche, la neige est tombée abondamment les jours précédents et le ciel continue de floconner. Les arbres sont chargés de cette belle neige fraîche. Autour de nous, le paysage est recouvert d’un drap blanc superbement repassé et laisse planer un infini silence. Il fait doux, on est bien ! Lourdement chargés pour certains, nous attaquons néanmoins gaillardement la montée au refuge Ricou. Une montée tout en douceur et en longueur, de quoi échauffer les pieds de quelques-uns. Pause picnic en cours de route auprès de chalets engoncés dans leur manteau hivernal. L’humeur est au diapason de ce décor féérique qui nous laisse augurer d’une belle semaine.
Arrivée tranquille au Ricou (alt 2 115 m) après 500 d+. JB file se coucher pendant que Lionel et Gilberto nous organisent un exercice de recherche d’Arva assorti des recommandations et consignes de rigueur en cas d’avalanche. Ce n’est pas du luxe car le BRA annoncé est de 4 pour ce début de semaine. Autant dire qu’il va falloir être vigilant !
Anna et Gilberto, n’ayant pas eu leur compte de ski, rechaussent pour optimiser la journée.
Le reste de l’équipe prend possession d’un dortoir d’une quinzaine de couchettes qui lui est intégralement réservé. Le luxe ! Une bibliothèque bien fournie, même si on n’a pas que ça à faire, lire…Il faut préparer notre itinéraire du lendemain car la trace initialement prévue doit être revue étant donné le risque avalanche. La bonne nouvelle, c’est que la météo prévoit une belle journée ensoleillée !
Très bon dîner adapté à toutes nos exigences, sans viande, sans gluten, sans lactose, sans alcool…
L’équipe de choc est prête pour le J2…
Lundi 17 mars – du refuge Ricou au refuge des Drayères
6h00… le jour se lève sur la Haute Clarée. Le dortoir du Ricou, juste au-dessus des cuisines, prend ce que l’aurore offre de lueurs. Certains croisent leurs étirements dans le réfectoire avant l’agitation matinale et ses préparatifs de courses. Nous laissons derrière nous le refuge-chalet et l’hospitalité de sa tenancière. JB part avec une bonne crève, Lionel avec ses chaussures-torture, et Mathieu avec son œil endommagé : c’est l’armée des pieds nickelés. Armata Brancaleone !
Direction le pic du Lac Blanc. Les muscles s’échauffent entre les reliefs blancs et le ciel azur. Quel plaisir de gravir ces pentes des Hautes-Alpes, les Alpes vraies, où Gilberto ouvre le bal.
Première halte, un œil vers le sud-ouest et tous les souvenirs refont surface, le Dôme et la Barre des Ecrins, les trois pointes du Pelvoux, les Ailefroides. Au Pas du Lac Blanc, avant l’itinéraire de crête, le panorama se complète : à l’est, Monte Viso, Rochebrune, le Queyras, et de l’autre côté, le Doigt de Dieu et la Meije, pour finir sur les Aiguilles d’Arves. La magie est au rendez-vous. Ski aux pieds, on jette un œil au col du Vallon qui pourrait être l’option de retour, et amorçons les dernières longueurs. Arrivés au sommet, satisfaits, le retour sur le parcours de crêtes est plus chaotique. Rien de très technique, mais une attention soutenue par une sensation d’équilibre entre deux versants. Premiers virages, la neige est fraîche, peu abondante, la roche est proche et dure. Rien n’empêche Agnès de rider. La descente est un régal, malgré un épisode où Anna regretterait presque l’absence de fart. Les écarts de températures offrent à Lionel des sabots de neige. Une séquence courte de pousse-bâtons, et nous filons dans la puff, et entre les barres rocheuses, vers le refuge Laval. Le col de la Tempête derrière nous laissera peut-être quelques impressions de manque pour une partie du groupe. Picnic et café bien mérités avant de reprendre la route des Drayères (alt 2 180 m). La journée est une réussite. Nous arrivons au seul refuge CAF de notre périple. Anna et Gilberto, insatiables d’ascensions, repartent alors que les autres goûtent aux plaisirs tranquilles d’une fin de journée ensoleillée.
Mardi 18 mars – Du refuge des Drayères (alt 2 166 m) au refuge I Re Magi (alt 1 760 m)
Jour blanc.
Le Mont Thabor était notre objectif initial. Compte tenu du risque élevé d’avalanche et de l’absence de visibilité, nous nous contenterons d’une traversée pour rejoindre le refuge I Re Magi dans la vallée étroite, depuis le refuge des Drayères (2166m) d’où nous partons un peu avant 8h, armés d’un solide petit déjeuner.
La montée est douce jusqu’au col des Muandes situé à 2 828m. Les 660 m de dénivelé passent sans qu’on s’en aperçoive, malgré les quelques tours et détours pour retrouver la trace de montée en l’absence de repères. Blanc, c’est blanc. La cartographie GPS est décidément une aide précieuse, surtout quand on connaît peu les lieux et quand on n’a pas pris la peine de préparer méticuleusement son parcours avec la boussole, la carte et le crayon. Reviennent en mémoire des sorties passées pendant lesquelles le GPS a fait défaut en cours de route à cause de la pluie ou de facéties du satellite…
De l’autre côté du col aurait pu s’attendre une magnifique descente si seulement le soleil avait fait son apparition et transformé la surface croutée du manteau tassé par l’humidité. Malheureusement nos skis resteront incrustés dans les rails qu’ils tracent et notre attention focalisée sur nos genoux que nous voulons préserver de torsions excessives en cas de chute.
Toujours en pariant sur le soleil, nous avions imaginé rallonger un peu le parcours en montant depuis le Prat du Plan vers le nord-ouest, en direction du Mont Thabor jusqu’au col des Méandes. Mais décidément, malgré quelques cimes qui apparaissent fugitivement ici et là dans la couverture nuageuse, l’éclaircie ne viendra pas et nous devrons descendre avec la trace de montée comme guide. Heureusement, le petit bois de mélèzes peu après la maison des chamois a ménagé un terrain de neige convenablement poudreuse qui égayera le parcours. La fin du parcours est ensuite un peu monotone, bien que très bucolique, sur une piste large et trop balisée qui marque la fin des 14km de traversée entre les deux refuges.
Pour les motivés, une petite excursion supplémentaire en pénétrant dans un vallon sauvage, la combe de la Miglia, puis en suivant les lacets du GR5 qui remontent vigoureusement au travers d’une forêt enchanteresse en direction du col des Thures. La descente en free ride entre les mélèzes, sur des pentes raides qu’une confortable épaisseur de neige rend praticables, donne un parfum de fun et d’aventure.
I Re Magi, les Rois Mages (alt 1 788 m), au cœur d’un petit hameau de résidences secondaires, plus italien que français, est facilement accessible depuis Bardonnechia. Des chambres de 2 ou 3, des petits salons aux canapés confortables, une salle à manger vitrée et chaleureuse. L’accueil y est excellent, d’une amabilité rare, et le menu italien enchante les skieurs : apéritif maison, antipastis du Piemont (moelleux chèvre, œufs, fromage, épinards ; fromage de chèvre frais, quiche), fromage en quantité, et sa légendaire polenta. Seul bémol pour le petit déjeuner qui ne rivalise pas avec celui des refuges de la vallée de la Clarée.
Mercredi 19 mars – du refuge I Re Magi au refuge du Chardonnet
La journée de mercredi a commencé la veille au soir, autour d'un superbe dîner où Francesca, qui travaille au refuge Re Magi (alt. 1755 m), nous rassure : la veille, elle a gravi le Pic du Lac Blanc, malgré un BRA à 3, grâce à une trace déjà faite par un autre skieur randonneur. Avec cette bonne nouvelle et une météo très favorable (pas un nuage !), nous attaquons notre journée à 7h53, en remontant la Vallée Étroite.
Après quelques kilomètres sur une piste, nous passons près d'une ancienne colonie de vacances (autrefois un centre de récupération pour personnes toxicomanes), avant de nous engager sur le plateau qui mène, au nord-ouest, vers le Mont Thabor et, au sud, vers le Rocher Blanc. Un autre groupe CAF de six personnes nous accompagnera tout au long de la balade.
En approchant du Col du Vallon (alt. 2645 m, pentes à 30%), une immense avalanche d'environ 200 m de large, tombée probablement la veille, nous barre le passage sur le versant ouest. Les traces de montée des jours précédents sont entièrement recouvertes, nous rappelant que suivre bêtement les traces des autres peut être risqué...
Après une courte arête offrant une vue magnifique sur le vallon menant à Névache, nous déchaussons pour redescendre un peu et rejoindre la partie initiale de l'ascension vers le Lac Blanc. Cette montée, avec des pentes à 30% et plus, nous oblige à choisir nos trajectoires avec soin pour éviter tout risque inutile, surtout avec un BRA à 3 au-dessus de 2 100 m.
Quand Gilberto, notre ouvreur, arrive au lac, nous croisons un autre groupe en descente, qui ne prend aucune précaution et skie dans la neige fraîche sans se soucier de notre montée. Cela provoque un moment de tension avec leur guide, qui finit par détourner son groupe pour ne pas mettre en péril notre groupe.
Nous attaquons ensuite la crête menant au Pas du Lac Blanc (alt. 2935 m). Une neige transformée, balayée par le vent, nous oblige à installer les couteaux pour sécuriser notre progression. Un dernier passage délicat entre les rochers nous permet d'atteindre, vers midi, le Pas du Lac Blanc, que nous avions franchi juste deux jours auparavant. C'est un moment de joie intense et cathartique après toutes les préoccupations des derniers jours. Lionel avait vu juste : son plan était réalisable !
Il ne reste plus qu'à profiter d'une belle descente jusqu'au refuge Ricou (alt. 2118 m), où nous savourons un pique-nique bien mérité, agrémenté d'un bon expresso. La descente est douce et variée, avec tous types de neige. Nous retrouvons enfin un peu de civilisation, après la tranquillité et le silence des jours précédents.
Nous poursuivons ensuite jusqu'à Fontcouverte (alt. 1861 m), en suivant une piste forestière, puis entamons la dernière montée vers notre objectif final : le refuge du Chardonnet (alt. 2270 m). Cette montée, en versant est, est très douce et serpente entre de charmants petits chalets nichés dans la forêt. La lumière de l'après-midi et la satisfaction d'avoir réussi le tour rendent cette montée particulièrement agréable. Le groupe s'étire : JB et Mathieu prennent les devants, Anna et Agnès discutent en montant, tandis que Lionel et Gilberto ferment la marche tranquillement.
Tout semblait parfait... jusqu'à ce que tatan ! Gilberto, à quelques centaines de mètres du refuge, réalise que sa fixation bouge et qu'il a perdu deux vis ! Une fois arrivé, il tente de réparer ses skis avec les moyens du bord : morceaux de bois, frein filet... tout y passe pour espérer pouvoir skier le lendemain.
Le refuge du Chardonnet, bondé, nous accueille chaleureusement. Un dîner de très bonne qualité se conclut sur un dessert exceptionnel, préparé par une apprentie pâtissière du refuge... servi sur un ski !
Et cette fois, ce n'était pas celui de Gilberto !
Jeudi 20 mars - refuge du Chardonnet - pic Ombière - Pointe du Demi - refuge Buffère
Après un petit-déjeuner de montagnard et s'être équipé, nous quittons le refuge du Chardonnet (alt 2 223 m) plein d'entrain, car le beau temps est au rendez-vous.
Nous nous dirigeons plein sud en direction du pic Ombière (alt 2 821 m) que nous atteignons après 2h30 de montée. Nous prenons le temps d'admirer le paysage (vallée de la Guisane, massif des écrins à 360°, Mont Thabor, Mont Viso) avant d'entamer une descente de 500 m dans une neige froide de "cinéma". Après une courte traversée, nous reprenons la montée en direction de la Pointe du Demi (alt 2 817 m), à l'ouest du col du Raisin. A 100 mètres en dessous de l'objectif, sous un vent sévère, nous décidons de redescendre au refuge du Chardonnet, toujours en bénéficiant d'une neige froide et extraordinaire, et prenons le temps de déjeuner.
L'après-midi, nous décidons d’emprunter un itinéraire plein est, entre la forêt de Sully et le pied de barre rocheuse pour rejoindre le refuge Buffère (alt 2 076 m). Ce tracé, dit de "la Casse Pinière", nous permet d’y parvenir après environ 1h30 de progression.
Vendredi 21 mars – Refuge Buffère-Névache
Dernier jour…Pour certains, c’est la nostalgie de la montagne paisible et l’envie de prolonger la semaine sur les pentes enneigées, mais le pied de Lionel dans un état exécrable (oh pitié !), merci les veilles chaussures, nous rappelle qu’il faut rentrer à Névache et reprendre la route vers le Sud-Ouest.
Alors que nous sommes désormais rodés pour le rituel du matin : petit-déjeuner à 7h pour un départ au plus tard à 7h58 (7h59 est encore autorisé), le refuge Buffère n’ouvre le bal qu’à partir de 7h15. Nous prenons donc le temps de mettre le nez dehors (hum, l’air de la montagne est toujours aussi bon, mais le ciel voilé annonce un changement de temps) et les peaux sur nos skis pour 4 d’entre nous. Matthieu et Lionel, raisonnables, descendent directement à Névache.
Après le petit-déjeuner copieux, le sac à dos léger, le traditionnel contrôle d’Arva, Gilberto tire l’azimut vers la crête de Baude. Nous progressons dans le vallon de Buffère, traversons un ruisseau enneigé et au sortir de la forêt de mélèzes, nous découvrons la jolie pente à monter. La neige croustille sous nos skis, c’est un peu gelé, espérons que la descente ne sera pas sur les plaques glacées. Nous progressons régulièrement, conversion par conversion. Le soleil joue à cache-cache avec les nuages et le vent qui souffle nous dit, qu’aujourd’hui, il nous faudra rentrer. Mais Anna rechigne et cherche un prétexte pour prolonger. En se penchant lors d’une petite pause, sa gourde non-attachée (l’erreur de débutant ou un hasard ?) s’échappe de la poche extérieure de son sac à dos, rebondit sur la neige dure et glisse allègrement jusqu’au fond du vallon pour disparaître entre les mélèzes. Intrépide, Gilberto s’apprête à nous faire une démonstration à la « Alberto Tomba », mais Anna l’en dissuade. Nous poursuivons donc notre ascension jusqu’à la crête de Baude. Malgré le vent, nous profitons du paysage de carte postale qui s’offre à nous : le fond de la vallée de la Clarée et tous les sommets qui l’entourent. Nous admirons, déjà nostalgiques, tous les versants où nous avons skié et ceux où nous aimerions revenir skier ou randonner. Mais l’heure n’est pas à rêvasser, il faut entamer la descente. D’une main de maître, Gilberto nous guide vers des pentes où la neige est encore intacte et permet de faire nos virages sans difficulté (même si ce n’est pas la poudreuse de la veille), mis à part tout en bas où nous retrouvons la forêt. Nous décidons d’oublier la gourde car il est impossible de retrouver l’endroit…mais Anna songe déjà à revenir la chercher en été. A peine 10h, et nous sommes de retour au refuge pour recharger nos sacs et descendre définitivement à Névache, où Lionel et Matthieu nous attendent avec le minibus du CAF de Bordeaux.
Lors de la descente par la route forestière, nous croisons des randonneurs en raquettes et à ski. « Ils ont de la chance, eux, ils ne rentrent pas à Bordeaux aujourd’hui » songe Anna. A mi-chemin, nous lâchons la bride à Gilberto qui fonce rapporter ses skis et ses peaux au magasin de location qui ferme à midi. Nous (JB, Agnès, Anna) fermons la marche, laissant derrière nous la belle vallée de la Clarée. En arrivant au minibus, Lionel et Gilberto crient : « Les peaux ! Les peaux ! Vous n’avez pas vu les peaux de Gilberto ? ». N’ayant rien vu lors de notre descente, Gilberto repart au pas de course à la recherche des peaux égarées (ou est-ce encore une tentative pour prolonger la semaine dans les Alpes ?). La chance lui sourit, il les retrouve et les rapporte au magasin juste à temps. Il est midi.
La neige a fondu dans la vallée. La semaine a été magnifique !
Sur le route du retour, c’est Mathieu qui, cette fois, joue les prolongations sur ses terres, les Hautes-Alpes (où il fait toujours « grand beau », n’est-ce pas Mathieu ?) et nous offre une bonne pause à Briançon. Nous pouvons ainsi visiter la veille ville, balayée par un vent glacial, et nous inviter dans le bel atelier de Charlotte Dauvillier, dont nous avons découvert l’exposition au refuge Buffère.
Nous sommes venus par le sud et pour boucler la boucle nous rentrons par Grenoble. Connaissant la route, les grandes stations de skis, les vallées et les sommets alentour par cœur, Lionel nous donne tous les bons plans et surtout l’envie de revenir. Merci beaucoup, Lionel, pour ce grand et inoubliable raid dans le massif des Cerces.
A bientôt la Montagne.